Terminus

Nous voilà arrivés au bout de la terre, de ce voyage interstellaire. Il ne s’agit pas à proprement dit d’une croisière de loisirs ou de plaisirs, notre existence consiste en quelque chose de plus conséquent. Serions-nous venus ici pour découvrir ce qui se produit dans les profondeurs d’un réel inimaginable, impensable si nous n’étions pas venus nous y enfermer ? Nous serions venus pour naître à quelque chose en étant à ce point réduits à presque rien.
Nous sommes rendus au bout, dans cette pléthore, ce débordement du monde animé de ses luttes intestines, de ses expériences allant en tout sens, de ses œuvres et ce qu’elles signifient. C’est comme si nous étions dans un œuf, plus exactement comme si nous étions un œuf arrivé à maturité.
Ce qui suppose que cet œuf terrestre a été fécondé, et que ce qui y habite compose un corps vivant destiné à une autre vie que celle-là. À une incarnation différente. Étrange œuf tout de même, où l’ensemble ne tient que si les cellules qui le composent se tiennent elles-mêmes, si elles ne sont pas mortes, ou bloquées dans leurs métamorphoses, comme les cellules de notre corps. Le corps ayant besoin absolu de renouveler ses cellules, de se reproduire, d’endiguer le désordre et la décomposition.
Tout pèse et joue. L’ensemble pèse sur l’individu, l’individu pèse sur l’ensemble. Une cellule morbide en entraîne d’autres, une personne qui reste retenue dans sa mort, sans pouvoir en sortir, sans pouvoir renaître, est un poids mort pour le corps. Inversement un vivant rend vivant le corps, et les cellules autres qui accentuent de leur côté le processus du vivant.
Cela ne se produit pas par des discours parachutés et fumeux, ces publicités qui s’axent sur les valeurs marchandes, sur ce monde des chimères et des absurdités. Non plus sur ce que les sciences dictent comme représentations. Parce que ce qui se trame au-delà est sans image possible en partant d’ici, de notre place minimale, aussi mince qu’un point. Mais nous avons cet au-delà à conquérir, ou plus vraiment à y retrouver notre place.
Ce n’est pas l’au-delà qui va pouvoir décider pour nous, qui va effectuer le travail à notre place. Cet au-delà nous appelle, ou nous rappelle à lui, et selon nos réponses nous nous y rendons. Et nous y sommes, si nos réponses sont justes et bonnes. Cet au-delà dans ces conditions s’avère être là.
Qu’est-ce qui doit dicter à la totalité des hommes le chemin qu’ils devraient suivre, dans quelle harmonie collective devraient-ils se situer s’il n’y a pas en chacun d’entre nous une sorte d’harmonie déjà présente ? Nous en sommes loin. Nous sommes soumis à des diktats infernaux, sur cette terre vivante qui dépérit et se dégrade, au nom de principes censés lui être supérieurs. Mais ceux-ci sont faux, sources de tous les fanatismes. De ces productions d’armes, de machines dont l’usage ruine les espaces naturels, par leur démesure.
D’autre part, comment les chinois, les africains, les américains, ou les européens vont-ils pouvoir s’accorder ? Ce serait comme un arbre dont les racines respectives n’arrivaient pas à un tronc commun, ce qui fait que l’arbre n’a aucune chance de se maintenir en vie. Ou que le tronc commun est tellement faux qu’il ne survivrait pas, ce qui engendre tous ces conflits, fondés sur les mêmes erreurs, les mêmes mauvaises volontés, et brutalités.
C’est comme si le Dieu* en chaque homme était divisé en lui-même. Et que sa seule possibilité d’union se trouvait dans nos déchirures communes.
Nous n’y survivrions pas. Le consensus non plus ne doit pas être faux. La paix ne peut pas être fausse.

*Volonté de puissance, de transcendance, vouloir être, etc.

 

 

Il faut du temps

Il en faut pour que le mystère se déroule, à force de persévérance. On peut toujours regarder en arrière et voir ce pour quoi on s’est battu, tous ces combats contre les mensonges, que ce soit ceux des religions, des publicités et des marchands, des sophistes et des scientistes, tout ce qui nous conduit à la mort. Au lieu de nous rendre vivants, vivants dans tous ceux qui viennent vivre ici.

Je me demandais ce qu’était un homme, un homme masculin. Non une brute épaisse et violente, ne prenant nullement la mesure de ses actes, se croyant supérieur avec ses réussites d’un ordre dominateur, ses machines et ses outils, ses systèmes intelligents. À tel point que cet homme là est remplacé par ses artefacts, et son existence fait pitié.

Il peut s’enrober de féminin pour se croire prémuni de son insignifiance. Il réduit le corps à un marécage organique et énergétique, comme la terre, objet modulable à sa guise. Il se croit homme dans la production de puissance mise en œuvre, débouchant sur les guerres, au prix des destructions de la vie sur terre.

Je me demandais aussi ce que voulait dire cette féminisation à outrance des mâles, comme si le désir était affecté. Et qu’il deviendrait sain en devenant pour un homme une femme, et pour une femme se masculiniser.

On confondrait le désir pour la femme et le désir d’être femme. C’est à dire qu’on aurait perdu le sens du désir. Il serait devenu corrompu. Au sens propre, informatique, d’information illisible.

Cette question du désir est capitale. Autant que mystérieuse.

Il me semblait qu’être un homme consistait à lutter contre le chaos, et être une femme donner la vie, au sens large, plus large que la mère. Redonner la vie entièrement dans les espaces des possibles. Redonner par conséquent les lumières intérieures perdues. Parce que nous fûmes égarés. Égarement intérieur autant qu’extérieur.

S’il existe des hommes qui ne sont pas paumés, ils arrivent à créer des œuvres en conséquence qui témoignent de cet accomplissement de la vérité en eux mêmes, sinon ils apparaissent comme des fantômes ayant vaguement forme humaine, c’est à dire étant vaguement habité d’humain. Hommes et femmes étant tous les deux très perturbés dans leurs évolutions respectives, à cause de ces violences qui s’exercent sur eux, et les subjuguent.

Ainsi, nous ne savons pas où iront les choses exactement, mais nous savons que les enfants n’aspirent pas à ce monde adulte qui se présente à eux. Il y manque des clowns et des beautés, du sérieux. Surtout dans ces façades médiatiques, où tout le monde succombe.

C’est pourquoi il faut du temps, pour que se déroule le grand mystère ( du désir). Pour qu’il se déroule en nous.

Comme nous nous sommes trompés…Et comme nous le savons, nous nous détrompons, nous sommes de moins en moins dupes.

C’est une blague drôlement acide. Si tu sais que ta femme te trompe, elle ne te trompe plus. Si elle te trompe, est-ce parce que toi tu te trompes sur elle, ou sur toi ? C’est le jeu, n’est-ce pas, de jouer à cache cache, se perdre et se retrouver.

Hormis ces considérations, ces signes des temps, on voit bien que la terre est dans une position très délicate. Assez terrible si on y songe. C’est pourquoi ce n’est pas avec nos seules ressources, pensées, logiques, raisons, notre dimension humaine que nous allons trouver des éléments de réponse, et de dénouement.

Dans ces conditions là, ce serait une mauvaise fin.

Plus rien ?

Est ce possible que nous n’ayons plus rien à faire de tout ? Que nous soyons tombés dans la poussière sans importance ? Tout se vaudrait ? Les mots, les actes, les amours et les haines, les souvenirs et les souffrances, les pensées et les conceptions ne seraient que des détails infimes, sans aucune importance. Il ne resterait qu’une masse inconnue et sans conscience, un objet errant dans son propre vide absolu, indéterminé et insensé, sans queue ni tête, dispersé et anéanti. Il n’y aurait nul dessein. Par la suite nul destin. Et nul être à même de penser l’être, puisqu’il n’y aurait nul être pérenne.

Mais ce n’est pas ainsi que se présentent nos existences, nous nous battons pour nous tenir à flot. Nous sommes traversés par les flux d’une vie plus grande qui nous transcende, nous sommes écartelés entre ses dimensions formidables d’effroi. Même en notre minuscule corps, en proie à ses désirs, et ses appétits, la soif de vivre est immense, et si nous ne trouvons pas de quoi vivre, nous succombons dans le noir du désespoir par divers paliers nous abîmant.

Nous sommes en relation étroite avec les cosmos que nous pensons inhabités. Alors que l’étude des différents mondes nous montre à quel point tout est peuplé. Miraculeusement habité. Poursuivant contre toutes ces forces nous attirant vers les bas fonds, notre chemin d’existence. Processus énorme du recouvrement de la mémoire, passée par l’oubli, comme quand on remonte à la surface des eaux. Tout ne se passe pas à notre insu. On nous a soufflé à l’oreille de drôles de choses, qui nous mirent en mouvement et en actions, bonnes ou mauvaises, et dont nous ne manquons jamais d’en récolter les fruits.

Comme si ces univers étaient régis par des lois et non pas par rien ou par accident. Ce qui est antinomique avec la notion de chaos, de désordre et d’entropie fatale qui nous guette. Grosso modo ce que nous nommons Dieu serait cette Loi absolue. Mais loi utile à ces êtres que nous sommes et cherchons à maintenir vivants. c’est à dire entité consciente d’elle-même à des degrés divers, conscience évoluante. Ceci se produit grâce aux œuvres. Comme le peintre face aux images qu’il dessine, y évolue. On peut par conséquent évoquer la question du travail, et essayer d’en comprendre le signe.

Travail, pris au sens physicien. Il n’a que ce sens là. Effort, énergie face à la pesanteur, non celle qui fait tomber les pommes, mais celle qui nous fait tomber dans une profonde misère existentielle. Les deux pesanteurs étant liées. De même nous retrouvons cet accouchement socratique face à celui du travail des parturientes. Ce n’est pas sans douleur que nous accouchons dans notre esprit. La folie nous guette. Le monde préférant garder ses opinions et ne pas être perturbé par des éléments étrangers, cela bousculerait trop les habitudes, cette impression d’être sûr de son bon droit, par la stabilité des groupes et assemblées partageant des visions ou des visées communes, habituelles.

Celles-ci s’affirmant toujours par opposition. Les puissants s’affirment par opposition aux inerties, aux passivités et aux ignorances, aux lacunes. Les masses s’opposent aux masses adverses. Les clans aux clans, et le monde se referme dans son enclos, sourd aux autres. Sourd aux autres disciplines et aux autres langages, hermétique aux autres moyens d’expression qui, à l’examen veulent dire les mêmes choses, ou espèrent nous conduire vers un but commun.

Celui n’étant jamais défini. Et pour cause, il n’est pas ici. À ce propos, c’est une explication à l’esclavage : Celui qui affirme détenir une parcelle de ce but arrive toujours à en persuader les autres et asseoir son pouvoir, quitte ensuite à la conserver par la violence. Ce n’est pas par la violence, ou la brutalité que commencent les aliénations, ou les chaînes qui nous retiennent les uns aux autres. C’est par ruse, par malignité, par subtilité. Certains pensent par intelligence. Ce qui est insuffisant pour fonder des humanités. Il faut que les lumières soient pleines de nos amours.

Et là, on est dans l’irrationnel des émotions. Et des mémoires. Mnémosyne, mère des muses. Et de la mémoire.

On n’accomplit pas un bon travail si on ne se souvient pas pour quoi ou pour qui on l’accomplit.

Et puis, cette folie, cette espèce de schizophrénie, ce tiraillement entre les pôles opposés, jusqu’où nous mènera-t-elle ? ça commence dans nos têtes, ça envahit les mondes.

Des moments d’extase

Je pensais ne plus écrire. Et puis se présentent toujours des éléments nouveaux qui m’obligent à reprendre la plume. Oh non, pas des choses terribles, fulgurantes, non, des choses simples, relatives aux œuvres d’art et leur présence parmi nous comme un décorum, révélateur de tout ce qui se passe en notre intérieur et qui nous parlent, sont là pour nous rappeler ces dimensions inconnues, invisibles, à peine perceptibles, si subtiles ou si fragiles, qu’elles s’avèrent vitales dès lors qu’on aborde certaines rives, et tous ces paysages inconnus frémissants.

Dans ce sens, les belles œuvres nous ayant ouvert la porte, il est impensable de la refermer, de même que ces livres, une fois lus, en appellent d’autres.
Quelle étrange alchimie dans nos esprits…

Ce sont les actes qui précèdent les œuvres, celles-ci témoignant des actes à notre portée. Comme des moments d’extase ou de bonheur.

Mise à jour et fin.

Qu’il est difficile de fermer la porte et de tirer un trait sur un achèvement. À qui s’adressent ces mots ? À moi sans doute, puisque dans le chemin sinueux du langage il se trouve des choses qui se mettent à jour, des choses enfouies dans les ténèbres, et qui éclosent comme des graines après la floraison.

Nos actes, des mots, seraient tels qu’ils ne serviraient que nous, comme une charité bien ordonnée. J’en fis le constat au cours d’une exposition de mes œuvres sculptées, après les remarques sensées d’un public. L’œuvre nous ouvre d’abord à nous-mêmes, à ce que nous contenons et exhumons par nos ouvrages. S’ils sont justes, c’est à dire précis, assez épurés, ils seront lisibles, intelligibles, mettant les points sur les i, et non à côté.

Nous sommes des animaux étranges, ayant des besoins tout à fait anormaux de parler, de dessiner, de tailler dans la matière, d’ériger des totems, ou des tours destinées à s’effondrer, des fusées allant nulle part dans le vide, des performances absolument vaines, si nous passons à côté de notre âme. Si nous perdons la clef de sa porte, par nos mensonges, nos idioties et nos traîtrises affreuses, par tous ces crimes perpétrés qui nous enterrent et nous oppriment.

Un jour, disant à mon maître que je n’avais plus rien à écrire, il m’a répondu qu’il en écrirait encore des livres et des livres. C’est donc ça la question, cette traversée par tous les hommes et les femmes, d’un Verbe inépuisable.

Le 13 mai 2023

Chien poète